L’histoire de l’art sous l’œil de Michel Ocelot : Azur et Asmar

Un nom en guise de madeleine de Proust.

 

J’ai la chance d’appartenir à une génération pour laquelle Michel Ocelot fait partie des catalyseurs de nostalgie. Ses œuvres intemporelles savent plaire à toutes les sensibilités et favorisent l’immersion au cœur d’univers fascinants.

Il y a peu, j’ai eu l’occasion de revoir Azur et Asmar, film sorti en 2006. Année de mes quatre ans. C’est l’histoire du jeune Azur, fils de la noblesse française, et d’Asmar, fils de la nourrice Jénane. Non frères de sang mais de cœur, les deux garçons grandissent ensemble jusqu’au jour où la nourrice et son enfant, d’origine orientale, sont chassés. Le temps passe et les souvenirs s’effacent, sauf un : le conte de la fée des Djinns.

Je ne compte plus le nombre de fois où j’ai eu l’occasion de voir ce film. Cependant, il s’agit de la première fois depuis que je suis historienne de l’art que celle-ci se présente. Il a participé à l’enrichissement de mon corpus visuel. L’œuvre foisonne de références à l’histoire de l’art qui ont inconsciemment contribué à forger mes goûts esthétiques actuels et qui me sautent à présent aux yeux.

Selon moi, l’art occidental a atteint à de multiples reprises une acmé. L’art gothique flamboyant qui se propage durant le 15e siècle en fait partie. J’admire la façon dont Michel Ocelot ne laisse que les yeux avertis se rendre compte de la présence de coffres en bois sculpté dans la chambre des enfants ; l’architecture est délicatement ornée d’arcs brisés, trilobés pour certains, et de motifs végétaux. Azur vient d’une riche famille de châtelain mais le réalisateur ne se sert que de légers détails pour affirmer cette fortune.

L’essentiel de l’histoire se déroule sur le continent africain. Le pays n’est pas nommé explicitement mais il est fort probable qu’il s’agisse de la Tunisie.

C’est une explosion de références artistiques. Mon esprit aperçoit l’héritage du Douanier Rousseau dans la forêt de palmiers, tandis que je vois directement un immense Christ Pantocrator sur la coupole d’une église en ruine. L’art islamique domine avec l’omniprésence de couleurs. Les motifs géométriques sont denses, ne laissant aucune place au vide. J’ai cru apercevoir la sœur de la mosquée-cathédrale de Cordoue…Cet art aniconique est dépeint dans toute sa splendeur et mêmes les muqarnas, typiques de la période médiévale, prennent place au sein de l’architecture. Michel Ocelot excelle dans l’implantation d’éléments artistiques, donnant une richesse à son œuvre. Comme une référence à la Porte d’Ishtar indiquant l’entrée de Babylone, la nuit offre une robe bleutée aux murailles de la ville.

Le voyage d’Azur et Asmar vers la montagne de la fée des Djinns est un voyage temporel pour le spectateur. L’empire Achéménide, éteint depuis environ 300 avant Jésus-Christ, s’invite au travers de ruines. Là, gît un chapiteau de taureaux semblable à ceux de l’Apadana du Palais de l’empereur Darius. Il est placé au premier plan, comme un appel à l’érudition et à la découverte. Le majestueux lion rouge, est-il une subtile référence à la Porte des Lions remontant à la civilisation mycénienne ? L’analogie est plus que tentante. Michel Ocelot remonte jusqu’à la préhistoire et ses peintures rupestres, rendant son récit véritablement intemporel.

Azur et Asmar mélange intelligemment les cultures et se place comme un glossaire de l’histoire de l’art au travers d’un récit qui sait plaire à toutes les générations (et aux âmes les plus curieuses).

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