Louis Janmot, une épopée poétique au musée d’Orsay
S’engouffrer dans le musée d’Orsay restera toujours une aventure qui sait perpétuellement se renouveler. Que ce soit par la découverte de toiles que l’on n’avait jamais remarquées avant ou bien via l’errance au cœur d’une toute nouvelle exposition temporaire, ce sentiment de nouveauté reste bien présent.
I. L’artiste et l’exposition
En ce moment, ce qui attire notre attention, outre l’exposition Van Gogh qui bat son plein, c’est la présentation de l’Œuvre de Louis Janmot. Que vous le connaissiez déjà ou bien que ce soit votre première expérience de son travail, cette exposition unique ne laisse pas indifférent. Mettant en avant son Grand Œuvre, il s’agit bien là de la première fois que Le poème de l’âme, est intégralement exposé à Paris et cela grâce au prêt exceptionnel du musée des Beaux-Arts de Lyon.
Qualifier cette série de Grand Œuvre n’est pas un abus de langage. Débutée en 1836 et achevée en 1879, cette épopée picturale et littéraire est profondément imprégnée par le vécu de Louis Janmot. Aussi bien par le décès de sa mère, les difficultés financières qu’il rencontre que par les aléas politiques de son époque. Au travers de la scénographie choisie, cette exposition nous guide habilement dans ce parcours muséal (et initiatique) et nous présente grâce à des cabinets, les différents thèmes que l’on peut par ailleurs trouver dans les œuvres de Louis Janmot.
II. La douceur de l’âme
Comme nous l’expliquent très bien les textes d’exposition, l’artiste a réalisé son Œuvre en deux séries distinctes. La première étant le cheminement d’une âme accompagnée de son âme sœur. Louis Janmot a réalisé ces toiles en concomitance avec des poèmes. La perception voulue par l’artiste n’est point dénaturée dans la mesure où on retrouve, tout au long du parcours, des extraits de ces poèmes récités par Alexandre Astier.
On suit alors ce jeune garçon au travers de dix-huit toiles disposées à la manière de frises nous narrant un récit. La scénographie et l’éclairage jouent grandement sur la lecture. Le tout, intelligemment agencé, nous permet d’apprécier la luminosité de la palette de Louis Janmot. C’est notamment le cas pour Le Grain de blé, toile de 1851 correspondant au dixième élément de la série. Elle illustre très bien l’atmosphère générale qui découle de la série : douceur, harmonie, importance prépondérante de la nature mais également un aspect religieux si cher à Louis Janmot. Celui-ci était par ailleurs ami de Frédéric Ozanam, figure phare de l’Institut Catholique et fondateur de la Société de Saint-Vincent de Paul.
Cette quiétude générale est donc intercalée de cabinets thématiques mettant en exergue les influences et corrélations entre le style, l’œuvre générale de Janmot et d’autres artistes antérieurs ou contemporains. Cela explique donc la présence d’œuvres picturales (et poétiques) de William Blake ou bien du tondo La Vierge adorant l’hostie de Jean Auguste Dominique Ingres, huile sur toile de 1854 appartenant aux collections du musée d’Orsay. Ces comparaisons diachroniques ne sont pas là simplement pour donner plus de masse à l’exposition, car dans les faits la série de peintures se suffirait à elle-même, mais bien pour aider le visiteur érudit (ou non) à situer le travail de Louis Janmot dans l’histoire de l’art générale.
Cette première série se termine avec la mort de la bien-aimée du protagoniste. Ce point névralgique agit comme une cassure mise en évidence par le changement de couleur de la salle d’exposition. On passe d’un bleu ciel à un bleu nuit. Un peu à la manière d’un pas franchit vers les ténèbres, tout change. Aussi bien la salle donc, que le thème de cette seconde série, en passant également par le médium de l’artiste qui passe de l’huile sur toile au fusain.
III. Douleur et déraison
Cette souffrance causée par le décès, cette chute de l’âme, est flagrante.
« Je rêve à l’abîme sans fond
Qui me repousse et qui m’attire. »
Louis Janmot, Le Poème de l’âme, Première série, « XII. L’Échelle d’Or »
L’intégralité de cette seconde série est fortement teintée d’un rapport religieux au péché comme le laisse sous-entendre la toile L’Orgie réalisée en 1861 qui fait indubitablement référence au péché de luxure. Mais cette descente presque dantesque vers les vices semble finalement s’apaiser. En effet, la seizième et dernière toile de la série, Sursum Corda!, est à voir comme une volonté de repentance de l’âme (ainsi que comme une prise de position politique face à la IIIe République…). Cette idée découle, dans une suite logique, des deux œuvres précédentes de la série : Intercession maternelle et La Délivrance, ou Vision de l’avenir. Après avoir prié et reçu l’intercession de la Vierge Marie, l’âme s’éloigne des vices et on trouve alors un certain « happy ending ». Le titre de cette seizième toile n’est d’ailleurs par anodin. Il est certain que tout le monde à cette époque connaissait cette locution latine empruntée à la liturgie de la messe. Mais elle n’est ici pas complète : Sursum corda / Habemus ad Dominum (Élevons notre cœur / Nous le tournons vers le Seigneur). Ce rapport étroit à la religion est ici encore une fois mis en exergue car, regardez attentivement, cette toile est la seule de la série à présenter de la couleur ! Celle-ci n’étant que doucement suggérée dans la précédente.
Conclusion
Tout au long de l’exposition, la découverte (ou redécouverte) du Grand Œuvre de Louis Janmot s’accompagne de ses esquisses et de dessins préparatoires. À la manière de l’âme qui progresse, l’artiste fait de même sur chacun des plans de sa vie et le résultat final que sont ces toiles en est intrinsèquement imprégné. L’intégralité du parcours nous permet de nous placer aux côtés de celui-ci (aussi bien de l’artiste que de l’âme) et nous dirige tout au long de cette épopée poétique dans un rapport presque introspectif pour le visiteur.
Afin d’aller plus loin sur ce propos, n’hésitez pas à consulter les ouvrages suivants illustrant directement le travail de Louis Janmot :
JANMOT L., Le Poème de l’âme – Trente-quatre tableaux et texte explicatif par Louis Janmot, Fage, Lyon, 2023.
JANMOT L., Louis Janmot – Paroles d’artiste, Fage, Lyon, 2023.
Ainsi qu’un ouvrage critique sur l’art de Louis Janmot :
HARDOUIN-FUGIER E., « Le Poème de l’âme » par Louis Jamnot Étude Iconologique, Presses universitaires de Lyon, Lyon, 1977.